Le second cerveau de JCK

Sortez votre tête des livres comme Zorba le Grec

Un extrait du livre Alexis Zorba qui exprime l’essence de cet essai qui va suivre :

Toi, tu avales tout ce que disent tes bouquins. Mais les gens qui les écrivent sont des cuistres ! Et qu’est-ce qu’ils savent en fait de femmes et de coureurs de femmes ? Des clous ! — Pourquoi n’écris-tu pas toi-même, Zorba, pour nous expliquer tous les mystères du monde ? ricanai-je. — Pourquoi ? Pour la bonne raison que, moi, je les vis, tous les mystères que tu dis et que je n’ai pas le temps de les écrire. Des fois c’est la guerre, des fois c’est les femmes, des fois le vin, des fois le santouri : où trouver le temps de prendre cette radoteuse de plume ? Et comme ça, l’affaire est tombée entre les mains des gratte-papier. Tous ceux qui vivent les mystères, tu vois, ils n’ont pas le temps d’écrire, et tous ceux qui ont le temps, ils ne vivent pas les mystères. Tu saisis ?

Ode aux romans qui bouleversent une existence à jamais

Il existe deux types de livres.

Les livres utiles qui vont résoudre un problème dans votre vie à un instant précis.

Et les livres qui vont sortir de nulle part et vous transformer à vie sans que vous n’ayez rien demandé.

Les livres de non-fiction (essais, livres de développement personnel) vont souvent jouer le rôle du livre “utile”.

Les romans quant à eux, ont cette faculté de rester en nous pendant des années. Lire des romans c’est pouvoir vivre 1 000 vies et perspectives différentes.

Je considère que les grands romanciers sont les plus fins psychologues, sociologues et parfois philosophes auxquels nous avons accès.

Le roman, c’est aussi des liens qui se créent avec un personnage. Ce sont des rencontres avec des âmes fictives qui parfois paraissent si proches de nous.

Martin Eden continue de m’accompagner quand j’écris. (Martin Eden de Jack London)

Morel m’invite à poursuivre avec conviction mes rêves. (Les racines du ciel de Romain Gary)

Georges Duroy m’inspire un état d’esprit de conquête quand je débarque dans une nouvelle ville. (Bel Ami de Maupassant).

Je suis toujours à la recherche de romans (et de personnages) qui vont entrer dans mon panthéon personnel.

Trouver un livre qui provoque en moi cet effet fait partie de mes plus grands plaisirs.

Mais comme nombreux d’entre vous j’imagine, j’ai tendance à l’oublier.

À privilégier les lectures “utiles” de non-fiction et à m’éloigner de la magie de la grande fiction.

En début d’année néanmoins, je fus chanceux en découvrant un roman et un personnage qui est entré (dès le début de ma lecture ou presque) dans mon panthéon personnel.

Ce livre (et personnage) est Alexis Zorba de Nikos Kazantzaki, connu également sous le nom de Zorba le Grec.

Une rencontre avec Zorba le Grec

C’est l’histoire d’une rencontre.

Celle d’un jeune homme de 35 ans (le narrateur) un intellectuel qui vit dans les livres et d’Alexis Zorba, 65 ans qui n’a jamais ouvert un livre mais qui semble avoir percé le secret de l’existence à travers 1000 vies.

Deux personnalités diamétralement opposées, l'une cérébrale, l'autre volcanique, qui vont s'apprécier, s'enrichir l'une l'autre.

L’histoire est secondaire. Ce qui est marquant dans ce roman, ce sont les dialogues entre les deux personnages ainsi que leurs façons d’envisager la vie, le monde et le rapport aux autres.

Le jeune intellectuel va se rendre compte que la vérité n’est pas dans les livres. Pour toucher du doigt la vérité, il faut vivre dans le réel. Il ne faut pas confondre la carte (le livre) et le territoire (le monde, les gens, la nature).

En tant qu’abonné et lecteur de ma newsletter, je sais que nous partageons certaines valeurs, centres d’intérêt et visions du monde.

Je suis quelqu’un qui de l’extérieur ressemble au narrateur.

J’aime les livres, les concepts, la solitude, le calme. Aussi, inspiré par la philosophie antique et l’enseignement de Socrate, je valorise la raison, la vertu, l’ordre ou encore la logique.

Mais tout comme le narrateur, j’ai également au fond de moi un volcan. Je sens un chaos, une énergie créatrice, des émotions fortes.

Une envie de briser la mesure des philosophes est d’épouser l’expérience vécue sans filtre et l’intensité de la vie à travers des excès.

Je suis sûr que cette tension interne parlera à nombre d’entre vous.

Ce livre fut pour un rappel que la vie n’est pas (que) dans les livres, la connaissance, le concept.

Avant de comprendre ce qu’est la vie, il vaut mieux commencer par la vivre.

Les limites de la connaissance

Ma vie avait fait fausse route et mon contact avec les hommes n'était plus qu'un monologue intérieur. J'étais descendu si bas que si j'avais eu à choisir entre tomber amoureux d'une femme et lire un bon livre sur l'amour j'aurais choisi le livre. — Le narrateur dans Alexis Zorba

Préférer lire un bon sur l’amour plutôt que d’aimer une femme.

Cette citation exprime la distance que l’intellectuel et son désir de connaissance peuvent mettre entre lui et la vie.

Certes la connaissance procure du plaisir.

J’ai des “shots de dopamine” dès que je découvre un nouveau concept qui m’intrigue ou qui met des mots sur quelque chose que j’avais observé. Mais la connaissance est reliée à l’intellect, à notre mental et donc à notre cerveau.

Quand le désir de connaissance devient le centre de sa vie, nous nous coupons d’une grande partie de l’expérience que la vie peut nous offrir. C’est comme si nous utilisons un seul de nos sens.

D’ailleurs, il intéressant de se demander d’où vient ce désir de connaissance à titre personnel.

Dans mon cas, je sais que c’est mon rapport conflictuel avec l’école qui m’a poussé à devenir si curieux et assoiffé de nouveaux savoirs.

La lecture fut — dans un premier temps — une façon de compenser le retard que je pensais avoir pris en décrochant scolairement et ne faisant pas de longues études supérieures.

J’ai eu des années où j’ai lu de manières boulimiques, dépassant les 80 livres lus en entier sur une seule année.

La philosophie m’a aussi apporté de la stimulation intellectuelle et des débuts de réponses à des questions que je me posais comme “qu’est-ce qu’une bonne vie ?”, ou “quel est le but de l’existence ?”

Puis la vie m’a amené des situations qui m’ont poussé à aller au-delà de ce besoin de connaissances.

La vie au-delà de la connaissance

Tant que nous vivons un bonheur, nous le sentons difficilement. C'est seulement quand il est passé et que nous regardons en arrière que nous sentons soudain combien nous étions heureux. — Alexis Zorba

Depuis 2021, je travaille sur une philosophie de vie que j’ai nommée la vie intentionnelle. J’essaye de vivre selon ces principes que j’ai exprimés à plusieurs reprises dans cette newsletter.

Or, cette philosophie de vie est le fruit d’un mélange d’actions et de réflexions. Ou d’entrepreneuriat et de philosophies comme l’exprime le terme Philopreneur.

Je pense que chacun de nous a une prédisposition à tendre plus vers la réflexion ou vers l’action. Dans mon cas, je suis plus enclin à privilégier la réflexion à l’action, ce qui est d’ailleurs une de mes faiblesses en tant qu’entrepreneur.

Mon départ à l’étranger et ma vie de nomade m’ont aidé à me rendre compte de ce déséquilibre. J’avais beau écrire sur l’importance de cet équilibre, je n’arrivais pas à le mettre en pratique.

Vivre à l’étranger et changer souvent d’environnement permet de mettre plus de chaos dans sa vie. Le voyage nous pose des questions : “Que viens-tu faire ici ?”, “Quelle expérience souhaites-tu vivre et faire vivre aux autres ?”

L’environnement est aussi fondamental pour sortir de sa tête et de ce désir de connaissance qui tourne en boucle.

J’en parle souvent ici mais avoir des amis comme Ulysse Lubin, Eliott Meunier ou Baptiste Piocelle que je fréquente actuellement à Budapest, me poussent à penser et vivre ma différemment.

La connaissance et le concept ne sont qu’une étape (et une aide) vers quelque chose de supérieur.

Ce quelque chose peut-être une connexion au présent, à autrui, au monde.

Cela peut être la découverte de niveau de conscience supérieur.

Ou encore la (re)découverte de ses sens, de son corps, de son esprit au-delà de son mental.

Par exemple, l’an dernier à Istanbul, j’ai essayé pendant plusieurs semaines de vivre dans un état de présence supérieure.

Je n’y parvenais pas la majeure partie du temps mais je m’exerçais à régulièrement prendre conscience de ce qui était autour de moi, à sentir mon corps se déplacer, à essayer de me connecter aux gens et aux éléments autour de moi.

Les journées ou les brefs moments où je suis dans cet état, j’ai l’impression que les couleurs sont plus vives autour de moi. Je me sens connecté à quelque chose qui n’est pas le mental ou la connaissance.

La connaissance reste un désir fondamental de l’Homme qui a besoin de comprendre ses origines, celles du monde. Qui essaye de déceler les mystères de la vie et de l’univers. De trouver un sens à sa vie.

Mais cette connaissance est un véhicule qui doit nous amener plus loin. Il faut savoir utiliser ce véhicule sans en être dépendant ou se limiter à celui-ci.

Ce qui m’amène à cette dualité entre la mesure et l’excès, entre la sérénité qu’amène la connaissance, et le chaos que font naître le mouvement et l’intensité.

Ce qui nous amène à la dualité éternelle entre mesure et intensité qui est représenté dans la mythologie grecque par Apollon et Dyonisos.

Apollon et Dionysos ou la vie mesurée et la vie intense

Tous les hommes ont leur folie, mais la plus grande folie, c'est de ne pas en avoir — Alexis Zorba

Dans la mythologie grecque, Apollon et Dionysos sont deux dieux importants qui incarnent des idées et des valeurs opposées.

La grande opposition philosophique entre Apollon et Dionysos est celle entre la raison et l'émotion, l'ordre et le chaos, la clarté et l'obscurité.

Les deux dieux représentent des aspects différents de la vie humaine et de l'expérience, et leur conflit symbolise la tension entre ces deux aspects, qui se retrouve dans de nombreux domaines de la vie, tels que l'art, la religion, la politique et la morale.

Comme je l’écrivais au début de cette édition, nous avons tous cette tension interne.

Elle n’est pas égale selon les individus mais, nous avons une part d’Apollon et une part de Dionysos en nous.

Le personnage de Zorba a conforté mon désir et mes réflexions d’aller vers toujours plus de chaos tout en construisant un environnement qui apporte un minimum d’ordre pour ne pas se perdre en chemin.

En effet, comme disait le philosophe Thoreau, la vie est une expérience et le plus d’expériences nous faisons/vivons, le mieux c’est.

Or une expérience sous-entend nouveauté. Nouveauté équivaut à inconnu et donc à chaos.

De plus, j’ai la conviction que la vie nous demande de (pour)suivre notre vérité, mission personnelle ou (légende personnelle pour reprendre l’expression de Paulo Coelho dans l’Alchimiste).

Pour cela nous allons nous engager dans des quêtes successives qui vont commencer par les plus superficielles puis aller vers le plus spirituels.

La vie est donc un chemin composé d’expériences et de missions personnelles.

Elle est recherche d’équilibre subtil entre une vie mesurée et une vie intense. Une vie ordonnée et chaotique.

Conclusion

Pour conclure cette édition, je dois revenir aux livres et à l’ironie de cet essai.

Je développe une réflexion vous invitant à vous éloigner des livres en me basant sur un livre.

Le livre n’est pas un problème (au contraire). Mais je vous invite à utiliser la lecture — que vous lisiez de la non-fiction ou des romans — comme des moyens de dépasser le mental et la connaissance.

Je vous propose d’ancrer vos lectures dans le réel. Par exemple, en associant celles-ci à des projets personnels.

La connaissance est le conduit qui vous permet de dépasser ses propres limites.

Donc, continuez à (me) lire. Mais surtout, expérimentez, ressentez, vivez.

PS : Voici quelques personnages que je vous recommande d’étudier pour comprendre comment vous approprier ce subtil équilibre entre réflexion et action

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